La télévision devait tuer la radio, qui elle-même devait enterrer le papier. Les DVD allaient faire disparaître les exploitants de salles de cinéma…. La digitalisation du spectacle vivant va-t-elle supprimer les salles ?
La plupart des salles en France, dédiées au spectacle vivant, se sont déjà engagées dans la révolution numérique. Et ce, bien avant la crise sanitaire de 2020. Ceci étant dit, elles ont intensifié leurs initiatives du fait de cette dernière. À l’instar des musées, la digitalisation du spectacle vivant leur offre de nouvelles pistes pour créer et renforcer la connexion avec le spectateur. Ainsi que pour tenter de pallier ces derniers mois à leur fréquentation nulle, suite à la décision de fermeture prise par les instances gouvernementales.
Créateur de lien social, le spectacle vivant rassemble. Il le fait naître et l’alimente au même titre que les échanges au travail, en famille ou entre amis. En fait, il relève d’un modèle communautaire. Si le spectacle vivant n’est pas forcément un moment de rencontre, il s’inscrit malgré tout dans une logique de socialisation et d’insertion. Dans cette perspective, est-il souhaitable qu’il puisse, un jour, devenir complètement numérique ? Quelles sont les limites des actions menées par les acteurs institutionnels et privés on web ? La digitalisation du spectacle vivant peut-elle être une finalité en elle-même ?
Spectacle vivant : une expérience instinctive et immersive
Au-delà du fait que le public vient, s’assied, repart, le spectacle vivant permet d’être “parmi d’autres”. Sur nos fauteuils, l’expérience est individuelle, solitaire. Mais en même temps collective lorsque l’on sort du spectacle. On parle avec nos voisins, nos amis, des gens dans le hall, à propos d’un sujet qui nous rassemble : le spectacle vu.
Cette démarche traduit une sorte de communion d’esprits autour de celui-ci. En parallèle, les artistes respirent avec les spectateurs et ces derniers avec les artistes à chaque représentation. Les vibrations qu’envoient les uns déplacent la perception des autres : c’est une forme d’émulation.
Préserver le cercle de sociabilité
Conscientes des enjeux socio-économiques et culturels connectés au spectacle vivant, certaines institutions continuent de surprendre par leur approche. Récemment, la Région Grand Est a, par exemple, consacré un budget de 600 000 euros pour une dizaine de captations (opéras, pièces de théâtre, concerts…), réalisées par des sociétés de production locales.
Dès lors, on est en droit de s’interroger sur le fait de regarder une représentation diffusée sur un écran de télévision ou sur Facebook live, avec des “consommateurs” publiant des commentaires pendant ce type de “représentation”. Tous les tenants et les aboutissants du spectacle vivant ont-ils bien été considérés ? Une réflexion d’autant plus légitime que la sortie culturelle permet de maintenir l’usager dans un cercle de sociabilité. Elle favorise son ancrage dans la vie quotidienne. C’est la force du spectacle vivant.
Digitalisation du spectacle vivant : tout bien considéré ?
Les entreprises privées sur le web ne sont pas en reste. Présentée comme le “Netflix” du spectacle vivant, Opsis TV propose un catalogue comprenant des captations de spectacles (théâtre, danse, opéra) en HD et en 4K. Ainsi que des master class et des documentaires autour du spectacle vivant. Le tout pour 5,99 euros par mois. Dès lors, si l’on peut voir un spectacle dit “vivant” depuis son canapé, qui se déplacera à Lille ou à Toulouse pour les dates d’après ?
Penser la digitalisation du spectacle vivant et la transition numérique des arts de la scène à partir des captations : opportunité ou erreur ? Derrière cette autre interrogation légitime, la crainte que le numérique devienne un substitut. Qui plus est, lorsque l’approche se double d’intérêts financiers. Une captation reste moins chère qu’un lever de rideau. À ce train-là, on peut finir par éluder les savoir-faire et l’humain.
Le digital au service du spectacle vivant réel
Si certains domaines artistiques peuvent se numériser intégralement, d’autres, dont les arts de la scène, peuvent peiner à le faire. Une solution parmi d’autres consisterait à inventer de nouvelles réalisations de captation, surtout pour les comédies musicales, la danse et le cirque. Des arts dont les spectacles sont plus “en mouvement” que ceux d’une pièce de théâtre. Objectif : être positionné là où le spectateur n’est pas, pour capter ce qu’il ne peut pas voir depuis son siège.
Par conséquent, plutôt que de miser sur une digitalisation tous azimuts du spectacle vivant, sans doute serait-il plus opportun d’envisager une véritable complémentarité du spectacle digital et In Real Life. D’une part, le spectacle vivant ne sera jamais tout à fait numérique. D’autre part, les technologies numériques doivent pouvoir le servir plus que de chercher à initier le “grand remplacement”. Notamment en attirant un nombre accru de visiteurs tout en rehaussant la participation de l’auditoire. Car l’objectif principal est, et devrait demeurer, une utilisation pensée du digital pour faire connaître les arts de la scène. Pour donner envie à l’internaute de quitter son écran.
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